24 novembre 2023

Je suis assis à l’aéroport Ben Gourion, attendant mon vol El Al pour Athènes qui me permettra ensuite de revenir à Montréal. Les vols internationaux ont été suspendus le 7 octobre lorsque Israël a déclaré un état de guerre. Pour des raisons de sécurité, les vols internationaux n’atterrissent plus Israël depuis 49 jours. Il est tôt le matin, et l’agitation habituelle des milliers de passagers internationaux attendant leurs vols matinaux pour l’Europe et le reste du monde a été remplacée par des passagers numérotés, tous volant avec El Al Airlines, et qui ont l'intention de prendre une correspondance ailleurs, probablement comme moi. En regardant la piste de l'aéroport, j’observe un spectacle à la fois familier et réconfortant. Le Magen David sur les queues des avions El Al Airlines. Il y a moins d'une semaine, j'ai soupiré de soulagement au moment d’embarquer sur mon vol Paris-Tel Aviv. Je n'avais jamais été aussi impatient de monter à bord d'un vol El Al après ces heures d’attente à l'aéroport CDG à Paris. J’avais le sentiment de finalement rentrer à la maison.

En parlant au chauffeur de taxi qui m'a conduit à l'aéroport ce matin, nous avons tous deux eu du mal à exprimer nos sentiments. Non à cause de la barrière de la langue, mais parce que les émotions sont trop fortes. Son fils de 24 ans a assisté à près de 30 enterrements d’amis depuis le 7 octobre, dont beaucoup de ceux du Festival de musique Nova, auquel son fils avait choisi de ne pas participer. Voilà un autre aspect de cette guerre qui va changer toute une génération d’Israéliens. Mes amis et ma famille qui ont des enfants jeunes adultes parlent tous de la façon dont leurs enfants (18-25 ans) ont dû assister aux nombreux enterrements de victimes massacrées et de combattants tombés sous le feu de l’ennemi. Une génération qui apprend à gérer le deuil et la perte de proches par vagues qui ne sont en aucun cas normales et qui nécessiteront un soutien et une thérapie pour s'assurer qu'ils peuvent mener ce pays hors de cette situation pour un avenir meilleur.

Le cessez-le-feu vient d'entrer en vigueur (7 h heure d'Israël) après une dernière salve de roquettes du Hamas, juste pour nous rappeler à qui nous avons affaire. Le pays est tendu et anxieux de voir la libération des 13 premiers otages enfants et femmes, dans 9 heures à partir de maintenant (16 h en Israël). Le sentiment de chagrin concernant cette « entente » pour la libération des otages est palpable. En tant que peuple juif, nous vivons selon l’idée que si nous sauvons ne serait-ce qu'une vie, nous sauvons le monde. Même si pour un bref moment, nous avons le sentiment que le pays peut à nouveau respirer avec le retour de ces enfants israéliens, certains d'entre eux orphelins, il y a en même temps un profond sentiment d'incrédulité et de chagrin en pensant à tous les autres otages laissés en arrières entre les mains du Hamas.

Je n'ai pas encore pleinement intégré ni accepté ce que j’ai appris, vu, entendu et ressenti en Israël ces cinq derniers jours. Je ne suis pas sûr de le faire un jour.

RENCONTRE AVEC DES FAMILLES DU KIBBOUTZ AZA

J’ai eu beau me préparer au moment où j’allais entrer dans le kibboutz Shefyim pour rencontrer les familles survivantes du kibboutz Aza, j’ai eu beau voir à la télévision des témoignages de familles de victimes ou de familles d'otages, rien ne peut vous préparer à voir les visages des victimes du Hamas. Leurs visages, leurs expressions et surtout, leurs histoires.

Tous commencent leur récit de la même manière : 6 h 30 du matin le samedi 7 octobre ou « samedi noir », comme ils le nomment. Le déferlement de roquettes, que les kibboutzim autour de Gaza subissent depuis qu’Israël s’est désengagé de Gaza et que le Hamas a pris le pouvoir en 2007, a entraîné la réaction habituelle. Les familles se sont réfugiées dans leur « Mamad », leur pièce sécurisée. Puis, tout bascule et le cauchemar commence. Tandis que les tirs de roquettes ne cessent de pleuvoir, des voix en arabe se font entendre et des coups de feu résonnent dans le kibboutz. Bien souvent, des générations de familles vivent au kibboutz. Elles ne vivent pas sous le même toit, mais dans différentes parties de kibboutz. En ce samedi noir, elles se trouvaient toutes dans leur pièce sécurisée et utilisaient WhatsApp pour communiquer. Aucun mot ne peut exprimer la peur et la terreur qu’elles ont ressenties. Mais leur apparence, le langage corporel et les regards fuyants suffisent. Elles racontent leurs histoires. L’historique d’une conversation sur WhatsApp d’un fils de 44 ans avec ses parents qui prend fin à 11 h 30 après qu’ils aient envoyé le message suivant : « Ils sont rentrés dans la maison ». Il doit protéger ses enfants dans sa propre pièce sécurisée et ne peut pas courir vers la maison de ses parents pour les protéger. Les derniers mots envoyés par ses parents, comme beaucoup d’autres messages WhatsApp, ont été « Nous t’aimons ». Une douleur et une angoisse inimaginables. Une mère de trois enfants adultes du kibboutz nous raconte que sa fille a été kidnappée par le Hamas et est retenue à Gaza depuis 45 jours. Elle n’a aucune nouvelle. Elle ne sait pas si elle a été blessée lorsqu’elle a été enlevée. Le dernier échange sur WhatsApp décrit l’arrivée d’un terroriste assassin dans sa maison.

Devant protéger ses enfants dans sa propre pièce de protection, il ne peut pas courir vers la maison de ses parents pour les protéger. Leurs derniers mots à leur fils, comme dans tant de messages WhatsApp, étaient, "Nous t'aimons". Une douleur et une angoisse inimaginables. Une mère avec 3 enfants adultes dans le Kibboutz nous raconte sa fille adulte enlevée par le Hamas et détenue à Gaza pendant 45 jours. Ne sachant pas comment elle va. Ne sachant pas si elle a été blessée lorsqu'elle a été prise. Le dernier WhatsApp entre eux décrit le terroriste meurtrier pénétrant dans la maison.

Leur sentiment de désespoir et de tristesse est immense. Le traumatisme est inimaginable. 

VISITE AU KIBBOUTZ AZA

Si ce n'était pas suffisant de revivre ce samedi noir à travers les histoires des membres du Kibboutz, nous nous sommes rendus à « Otef Aza » (la zone entourant la bande de Gaza) pour comprendre et voir ce qui s’est passé en ce jour funeste. Le cadre pastoral parfait des Kibboutzim autour de la frontière de Gaza, qui a attiré tant de monde à y vivre au fil des ans, est en totale contradiction avec les horreurs dont les kibboutzim ont été les témoins. Quand nous sommes descendus de nos minibus au Kibboutz Aza, portant des gilets pare-balles et des casques, la première chose qui m'a frappé était l’odeur. Elle était faible, mais présente. Une odeur de brûlé… plus de 40 jours après ce samedi noir. Le massacre qui s’est produit au Kibboutz Aza est inimaginable. Des civils assis dans leur « Mamad » – pièce de protection, ont reçu des tirs, des grenades et des grenades propulsées par roquettes. Ni les maisons, ni les pièces de protection n'étaient construites pour résister à une telle puissance de feu. Et quand les terroristes n’ont pas réussi à forcer les portes des « Mamad » pour y massacrer tous ceux qui s’y trouvaient, ils ont simplement retiré les pneus des voitures, y ont mis le feu  et les ont placés à l’intérieur dans les maisons pour tout brûler. Et tout cela en terrorisant les habitants des Kibboutzim, en violant des femmes, en torturant des enfants.

Le 6 octobre, le Kibboutz Aza comptait 400 membres. 64 membres ont été assassinés en ce samedi noir. 18 autres ont été pris en otage, dont 7 enfants. Dans un Kibboutz aussi soudé, le 7 octobre a touché chaque membre du Kibboutz.

La terreur et les massacres se sont répétés dans les Kibboutzim à Otef Aza, Sderot et dans d’autres municipalités. Les images parlent d’elles-mêmes.
 
Kibbutz Kfar Aza
Kibbutz Kfar Aza

DES VOITURES À PERTE DE VUE

À environ un kilomètre du Kibboutz Aza, en bordure de l'autoroute principale, où se trouvaient autrefois des terres agricoles luxuriantes, un parc automobile de fortune a été créé pour stocker des milliers de voitures. Ce samedi noir, des voitures sont devenues la dernière demeure de centaines de victimes du massacre perpétré par le Hamas. Alors que les fêtards fuyaient le festival de musique Nova, le Hamas a utilisé toute sa puissance de feu pour tuer tous ceux qui étaient sur sa route. Dans les kibboutzim, les municipalités et la ville de Sderot, le Hamas a ciblé les voitures, les véhicules de police, les ambulances et les véhicules de première intervention pour s'assurer que personne ne puisse atteindre les massacres qui se déroulaient dans les kibboutzim. Des grenades propulsées par roquettes ont été lancées sur les voitures pour les arrêter sur place. Des centaines de personnes ont été tuées, mutilées et blessées dans leur véhicule. Le parc automobile improvisé permet de conserver temporairement ces véhicules aujourd'hui. Chacun d’entre eux a été  minutieusement fouillé à la recherche d’ADN, de sang, de corps ou de membres.

Les voitures seront finalement enterrées, conformément à la loi juive, pour rendre un dernier hommage aux personnes massacrées par le Hamas. Ce n'est qu'un élément supplémentaire de la terreur cruelle et inimaginable que le Hamas a fait régner en ce samedi noir. Les vidéos et les photos que je partage ne raconteront jamais les horreurs dont ces voitures ont été témoins.
 
 
AM ISRAEL HAI

Non loin du parc automobile, à un carrefour, un poste de soldats temporaire a été installé par quelques-uns des dizaines de milliers de bénévoles qui se sont mobilisés pour soutenir l'effort de guerre. Le camion-restaurant « Cnaanit », qui cuisine des milliers de hamburgers et de hot-dogs pour les soldats tous les jours, est une idée originale de Lawrence Witt, originaire de Montréal. Avec quelques amis, Lawrence s'est mobilisé dès les premiers jours pour fournir de la nourriture aux soldats se préparant à la guerre et maintenant en guerre. Aujourd’hui, le carrefour dispose d’un centre commercial improvisé dans une grande tente, où les soldats peuvent se procurer gratuitement des produits de première nécessité. Tout y est, des sous-vêtements aux articles d’hygiène, en passant par les Tsitsit (l’un des articles les plus demandés par les soldats entrant dans la bande de Gaza). Les marchandises sont données quotidiennement par camion et livrées à la jonction pour être distribuées.

En face du camion-restaurant Cnaanit, un groupe religieux a installé ses instruments et microphones, chantant des chansons en hébreu pour remonter le moral des soldats. Une Jeep arrive avec quatre soldates en uniforme complet et armes. Une unité de combat de l’Armée de défense d’Israël. Où dans le monde pourrait-on assister à une telle scène? Toute la mosaïque du monde juif à une seule jonction, prenant soin les uns des autres, montrant que l’amour surmonte toutes les barrières. Alors que l’orchestre religieux nous entraîne dans un retentissant « Am Israel Hai », je suis plus que jamais convaincu que nous gagnerons cette guerre. Nous serons plus forts, nous vaincrons et nous reconstruirons le monde juif pour qu’il soit encore meilleur à l'avenir.

ÉVÉNEMENT DE GRANDE AMPLEUR SUR LE PLAN DES VICTIMES

L'hôpital Soroka de Be'er Sheva a été désigné comme l'un des six centres de crise nationaux d'Israël. Situé dans le Néguev, Soroka dessert une population de plus d’un million de citoyens de la région sud d’Israël, y compris les populations arabes et la communauté bédouine.

En ce samedi noir, le directeur général de l'hôpital reçoit un appel de routine de son directeur des opérations l'informant que des roquettes ont été tirées depuis Gaza et qu'il faut préparer l'hôpital à une situation d'urgence, ce qui est presque une action habituelle à Soroka. À 7h30 du matin, après que 12 blessés ont franchi les portes de l'hôpital, le directeur général déclare un événement de grande ampleur. Cela signifie que tous les médecins disponibles doivent se rendre à l'hôpital et se préparer à recevoir des blessés dans les salles d'urgence.

Les hôpitaux israéliens s'entraînent malheureusement trop souvent à faire face à un événement impliquant un grand nombre de victimes. Le dernier événement impliquant un grand nombre de victimes à Soroka s'est produit pendant la seconde Intifada, lorsque des terroristes sont montés à bord de deux bus à un kilomètre seulement de l'hôpital et se sont fait exploser, tuant 16 personnes et en blessant 100. L'hôpital a alors traité 100 blessés, la plupart légers. Dans les pires simulations, l'hôpital Soroka a estimé qu'un maximum de 300 blessés pouvaient être traités au cours d'une journée donnée.

Au cours de ce samedi noir, l'hôpital Soroka a reçu 680 victimes en une seule journée. C'est plus du double du scénario le plus pessimiste jamais pratiqué et c'est le plus grand événement de masse sans lien avec une catastrophe naturelle (c'est-à-dire un tremblement de terre ou un tsunami) de l'histoire. En fait, Soroka a reçu deux fois plus de victimes que l'hôpital le plus proche, l'hôpital Barzilai d'Ashdod. À l'hôpital Barzilai, sur plus de 300 blessés, environ 75 ont été déclarés morts à leur arrivée. Lorsqu'il est apparu que le Hamas, dans le cadre de ses tactiques de terreur, enlevait des cadavres israéliens pour les envoyer à Gaza, l'armée de défense d'Israël et les citoyens ont commencé à protéger les cadavres, et l'endroit le plus sûr pour eux était les hôpitaux. De cette façon, ils pouvaient être identifiés et le terrorisme psychologique du Hamas sur les civils israéliens ne traumatiserait pas davantage les familles en deuil.

Entre midi et treize heures, en ce samedi noir, Soroka a accueilli 83 blessés. Cela signifie que toutes les 40 secondes, un blessé entrait dans la salle d'urgence. À ce moment-là, les protocoles habituels ont été mis de côté et l'hôpital a réécrit l'histoire de la gestion d'un événement impliquant un grand nombre de victimes.  À cette époque, les hélicoptères de larmée israélienne atterrissaient régulièrement, amenant les blessés dans les salles d'urgence. En règle générale, seuls les soldats les plus gravement blessés sont transportés par avion à Soroka, afin de trier les blessures moins graves vers des hôpitaux plus éloignés de Gaza et de ne pas surcharger les salles d'urgence de Soroka. Aucun triage de ce type n'a eu lieu en ce samedi noir.

Aucune formation ni pratique n'a préparé les médecins et l'administration à faire face aux horreurs de ce samedi noir. Les "protocoles" relatifs à un événement impliquant un grand nombre de victimes n'envisageaient pas la manière de traiter les victimes de viols en masse qui ont été amenées dans les salles d'urgence. Des gynécologues ont dû être appelés aux urgences pour soutenir les équipes. Des équipes de personnel administratif ont dû être mises en place pour l'identification des blessés, car un grand nombre d'entre eux sont arrivés sans papiers d'identité, y compris deux jeunes enfants déshydratés sauvés de l'un des kibboutzim. Ils sont soignés au centre de traumatologie pour enfants. Leurs parents se tenaient courageusement à l'extérieur du Mamad, enfermant les enfants à l'intérieur. Les parents ont été brutalement assassinés par le Hamas, mais ils ont sauvé la vie de leurs enfants, qui ont passé d'innombrables heures dans le Mamad jusqu'à ce qu'ils soient secourus plus tard dans la nuit et emmenés à Soroka.

Une fois de plus, d'une manière terriblement triste, grâce à l'incroyable travail de sauvetage du personnel de Soroka, le reste du monde apprendra à faire face à l'avenir à des événements impliquant un grand nombre de victimes.

Les images des brancards remplis de sang qui ont transporté les blessés ne raconteront jamais toute l’histoire.

En ce samedi noir, 680 personnes sont entrées dans les salles d'urgence de Soroka. Les équipes se sont occupées d'eux et les ont traités pendant des heures innombrables, sauvant ainsi des vies en temps réel. Malheureusement, à ce jour, 4 des victimes du samedi noir n'ont pas survécu, mais 676 ont été ou seront autorisés à sortir de l'hôpital pour reconstruire leur vie.

NOUS SOMMES UN PEUPLE QUI CHOISISSONS LA VIE

Partout en Israël, la crise, le traumatisme et la tristesse sont palpables. La plupart des gens ne demandent même plus « comment allez-vous? » et nombreux sont ceux qui ne disent plus Boker Tov (bonjour), mais simplement « Boker » (matin).
 
Partout en Israël, la crise, le traumatisme et la tristesse sont palpables. La plupart ne vous demanderont pas les amabilités habituelles comme "Comment ça va ?" et beaucoup ne disent plus Boker Tov – Bonjour ; juste "Boker" – Matin. Les familles des otages, les innombrables Shivas et le bilan de la guerre nous rappellent constamment que cette guerre n'est pas terminée et qu'elle est juste et nécessaire, non seulement pour la nation juive, mais aussi pour les communautés juives du monde entier.

Et si les sourires sont difficiles à trouver, si le stress, l'anxiété et la profonde tristesse se lisent sur presque tous les visages que j'ai croisés, j'ai aussi été témoin d'une détermination et d'une force que je ne saurais décrire. Et pourtant, la résilience et la force de la population sont incroyables. Le pays est uni comme jamais auparavant, et, dans un curieux retournement de situation, les Israéliens sont davantage inquiets pour nous à Montréal et nous transmettent leur force. Ils s’inquiètent pour nous comme nous nous inquiétons pour eux.

En quittant Israël ce matin, je sais que nous gagnerons cette guerre. Nous la surmonterons, nous reconstruirons et nous serons plus forts en tant que peuple et plus résilients pour le reste du monde. Nous sommes un peuple qui avons choisi la vie, non un peuple qui a choisi de la détruire. Nous sommes un peuple qui a choisi la paix. Et bien que cela puisse toujours être une faiblesse que nos ennemis exploitent, l'histoire montrera que la lumière vaincra toujours les ténèbres et que nous, qui choisissons la vie, serons du bon côté de l'histoire lorsque tout cela sera terminé.

Le peuple juif est uni et déterminé. À la fin, nous serons les plus forts.
 
 
FAITES UN DON
 
 
Yair Szlak, LL.B 
Président et chef de la direction
Fédération CJA
Haut de page